Skip to main content

Abidjan

La terre est humide, noire.
Le ciel est blanc, le ciel est gris. Indéfinissable. Comme absent, vide, sans limites.
Il pleut, fort, très fort, et il fait chaud en même temps.
L’air est moite, il est palpable, il nous contient. S’y opposer est illusoire, cela devient vite insupportable, trop pesant. Au contraire, l’accepter c’est faire corps avec cette moiteur qui nous absorbe. En faire partie, d’une certaine manière, se sentir intégré, se faire croire que l’on n’est plus un étranger …

On est au bord de l’océan mais on ne le perçoit pas, Abidjan reste en retrait.
La lagune protège la capitale économique du pays et marque clairement la séparation. Cette eau s’insinue pourtant dans la ville avec des surfaces aux formes complexes plus ou moins étendues qui définissent des îles, des quartiers.

On pourrait se croire dans n’importe quelle grande ville. Non, on est bien sur cette côte sud de l’ouest africain, sur laquelle de nombreuses grandes villes ont vu le jour, protégées de l’océan par une bande de terre. Une ville dense, avec de nombreuses constructions hétéroclites. La végétation est là pour donner de l’unité. Une végétation qui rappelle que les zones forestières du nord ne sont pas très loin. Et toujours l’humidité, qui tache les constructions mal adaptées au climat, jusqu’à les dévisager, les parer de mousse, les « tropicaliser ».

Sur la route, le trafic est intense, ça n’avance pas, il faudra beaucoup de temps pour simplement passer ce grand pont. Alors on se distrait en regardant alentour : la fourgonnette-taxi qui déborde de clients, le taxi des plus riches qui n’avance pas plus vite pour autant, et tout ce monde qui veut traverser ce pont qui n’en finit pas. On prend son mal en patience et on parvient finalement à destination sans comprendre pour quelle raison cette traversée était si problématique.

Clairement, Abidjan n’a rien à envier à d’autres grandes villes, La grande enseigne d’Hyper marché abrite tous les magasins, les échoppes habituelles et la grande surface qui sert de locomotive à ce complexe commercial. A l’opposé, dans les quartiers traditionnels, les marchés offrent tout ce que l’on veut, secteur par secteur. Ici pas un blanc, pour autant, je ne suis pas mal à l’aise, mes demandes sont pratiquement toutes acceptées, avec fierté ou gêne voire un immense éclat de rire… La terre est noire, elle contraste avec les couleurs des fruits et légumes, les habits colorés, et toujours ce ciel gris, chargé d’humidité.

Dans les halles où l’on ira choisir ses épices, il fait sombre, tout y est très calme, à l’abri de la pluie, de la lumière, du tumulte et des véhicules.

Sans me regarder on me demande une photo, par timidité, par crainte du regard qui sera rendu. Ne veux-tu pas me prendre pour épouse ? Une phrase difficile à entendre. Moi qui représente un autre monde, un idéal ? Et pourtant bien loin d’être meilleur. Si facile à dire pour moi.

Se balader dans ces marchés, cela donne une bonne raison de regarder ce monde, comme d’y être là pour y faire ses achats. Les marchands sont en représentation et je profite ainsi de ce spectacle gratuit pour emmagasiner toutes les images qui me sont données à voir. Y prendre quelques photos et avoir certains contacts fugaces au détour des mots échangés. Il y aura la photo prise et toutes celles qui resteront dans ma tête.

Je repense à Henri Cartier-Bresson, une de mes principales références parce que ses photos portent un vrai regard sur la vie de tous les jours. J’imagine la puissance des impressions ressenties lors de son débarquement à Abidjan, son premier contact avec l’Afrique dans les années 30, alors qu’il avait tout juste 23 ans. Abidjan a certainement perdu de son pittoresque mais garde un pouvoir d’émotion et d’authenticité dans la diversité hétéroclite de cette grande agglomération.

Et toujours, les enfants, curieux de cet étranger qui regarde partout.

– Qui es-tu ?

– Je vous prends en photo si vous voulez ?

Pose devant le rouge et le jaune « magie Maggi » Nestlé.

On regarde ensemble cette photo sur l’écran de l’appareil … avec un grand sourire …